« Pour un débat national
sur le collège unique » :
Contribution du Sgen-CFDT
Faut-il
parler de crise du collège unique ? N’est-ce pas prendre le risque de
mêler sa voix au concert
Chacun sait bien que l’actuel
« collège unique » joue déjà, de manière plus ou moins
« implicite » ou « hypocrite » (cf. François Dubet, Marie
Duru-Bellat) ce rôle de sélection des futures élites aptes à poursuivre des
études longues et de relégation de ceux qui constitueront les 60 000 sortants
sans qualification : c’est sans doute un des signes et une des raisons des
difficultés, que d’aucuns appellent échec, de « l’actuel collège
unique ».
Et pour que le collège unique soit en
crise, encore faudrait-il que l’on puisse vérifier l’existence réelle de ce
collège unique ; or, il a toujours existé dans le collège « des
structures destinées à prendre en charge les enfants que les dispositifs
habituels » - « les structures communes » dit la
circulaire de rentrée 2003 - « ne pouvaient ou ne savaient pas
prendre en charge » (Françoise Clerc : pour ou contre le collègue
unique : est-ce bien la question ? »).
Chaque tentative pour faire disparaître l’une de ces structures, dont on
faisait l’analyse que son existence même encourageait le repérage d’enfants qui
y avaient leur place, s’est soldée par l’apparition concomitante ou légèrement
décalée dans le temps de nouvelles structures adaptées à des formes parfois
évolutives de l’échec (on ne peut s’empêcher de remarquer que le
« comportement » prend une part de plus en plus importante dans les
raisons de mise à l’écart des structures communes).
Des dispositifs sont en train de se mettre en place, d’alternance au collège,
dont l’effet le plus sûr sera de renforcer ce que nous évoquions plus haut en
termes de déterminisme social, d’orientation-sélection précoce.
Chacun sait bien par ailleurs que les
années de crise ont provoqué des phénomènes d’exclusion sociale graves qui sont
loin d’être réglés aujourd’hui, que la géographie sociale des villes et de
leurs banlieues a suscité l’émergence d’inégalités fortes entre les collèges,
certains concentrant de manière sensible les difficultés tant en termes de
socialisation des jeunes qu’en termes de réussite dans l’accès à des savoirs
dont le sens n’est en rien évident. La « faiblesse » de la politique
ministérielle de discrimination positive n’a pas permis de contrecarrer ces
phénomènes, d’autant que s’est développée une « ethnicisation » des
réalités scolaires sur laquelle ont d’ailleurs pesé les « chocs »
internationaux de la Guerre du Golfe au 11 septembre 2001 (cf. Françoise
Lorcerie : L’École et le défi ethnique, INRP-ESF 2003).
De manière générale, la faiblesse du
pilotage de la politique ministérielle permet que subsistent, au-delà des
structures officielles, toutes sortes de dispositions -implantations des
options, modalités de constitution des classes, et c.- qui transforment la
diversité en inégalités et renforcent les écarts : la discrimination
existe tant entre les établissements que dans les établissements eux-mêmes (cf.
J.J. Payet). C’est une des raisons pour lesquelles le Sgen-CFDT a fait des
propositions en faveur d’un « projet » de bassin de formation.
On voit bien que c’est moins le
principe de l’unification de la scolarisation au collège qui est en cause que
les effets pervers d’une volonté de démocratisation qui n’a pas été menée à son
terme » (cf.
Nous voulons construire le collège de la réussite pour tous - Décembre 2002).
Sans doute peut-on faire le constat que se cristallisent au collège et autour
du collège un certain nombre de difficultés dues tout à la fois aux évolutions
socio-économiques, à une hétérogénéité socioculturelle grandissante du public
du collège, au développement des incivilités voire d’une certaine violence chez
les adolescents en train de se construire (et qui peut-être caractérise la
société tout entière), à l’accroissement de l’écart entre les valeurs
véhiculées par le discours de l’École et celles qui habitent la plupart des
autres discours qu’entendent les jeunes ... et, bien sûr, au fonctionnement du
système éducatif dans son ensemble (articulation du collège avec son amont et
son aval en particulier...). La démarche de démocratisation du système éducatif
semble globalement « stoppée » et d’aucuns semblent se réjouir
d’éclairer certains chiffres détestables -voire de les gonfler- :
illettrisme, pourcentage de sortants sans qualification et sans diplôme, qui
semble avoir atteint, après des années de décrue régulière, un palier (idem en
sens inverse pour la réussite au bac et le pourcentage d’une classe d’âge au
niveau bac). Dans le même temps, les attentes de la société à l’égard du
système éducatif, et du collège en particulier, ne cessent de croître et de se
diversifier, renforçant le désarroi d’enseignants qui ne savent plus très bien
ce que l’on attend d’eux -et c’est particulièrement vrai pour ceux des
collèges- et qui ont le sentiment d’un « écart » entre leur
formation, les missions de l’École, et leurs pratiques, confrontés qu’ils sont
aux difficultés et à l’échec de certains de leurs élèves, aux difficultés à
enseigner et donc à leur propre échec, aux injonctions ministérielles qui se
succèdent à un rythme élevé -et qui sont parfois contradictoires entre elles-
sans que les moyens pour les mettre en œuvre suivent toujours, sans qu’on
prenne le temps d’aller jusqu’ à l’évaluation (et son
« exploitation » politique), sans que les acteurs aient été
suffisamment associés, impliqués dans la réflexion sur les pratiques nouvelles
et leur mise en œuvre, sans que les enseignants reçoivent les moyens réels, en
temps pour la réflexion collective et en formation, de maîtriser les
changements. Les déstabilisations multiples et successives, accumulatives dont
ont été « victimes » pendant toute cette année scolaire 2002-2003
l’École et ses personnels, ont exacerbé les sentiments de désarroi, de
ras-le-bol, de crise qui se sont exprimés sous des formes diverses ces derniers
mois.
Plutôt donc que de parler de crise du
collège unique, le Sgen-CFDT préfère dire aujourd’hui qu’il est plus que jamais
nécessaire [et qu’il est sans doute urgent dans la société française du XXIe
siècle, société économiquement développée où la structure de l’emploi et son
évolution rendent nécessaires l’accroissement du niveau initial de formation
des individus et son enrichissement « tout au long de la vie »,
société démocratique complexe où les attentes sont nombreuses en termes de
capacités citoyennes, autonomes et libres, capables de s’inscrire dans un
projet collectif, multiple et solidaire] de construire le collège de la
réussite de tous les élèves, à partir d’ailleurs des réussites du collège
d’aujourd’hui qui ne sont pas insignifiantes.
Dans le cadre de l’École de tous, le collège doit devenir une véritable école
moyenne, prenant la suite, sans rupture, de l’école dite primaire -que nous
appelons « initiale »-, et débouchant pour tous sur un cycle
terminal. Dernière étape de la scolarité commune, accueillant tous les jeunes
avant toute orientation, toute spécialisation, le collège doit offrir aux
jeunes les moyens de poursuivre ensemble l’acquisition de références communes,
l’acquisition d’un socle commun, indispensable à chaque citoyen, de savoirs,
savoir-faire, savoir-être, compétences : un collège pour tous, sans
orientation précoce, sans filière explicite ou implicite, expression du droit
de tous à l’éducation, qui ait ses objectifs propres et puisse ainsi échapper à
la tyrannie du pilotage par l’aval.
Il nous semble, au Sgen-CFDT, que c’est l’affirmation claire de cette fonction
du collège qui devrait apparaître dans la construction du collège de la
réussite de tous, que c’est une des conclusions absolument nécessaires du débat
sur l’École. Est-ce encore en termes d’âge que doit se poser aujourd’hui la
question de la scolarité obligatoire (le critère de l’âge est d’ailleurs trop
souvent utilisé pour pointer l’échec sous forme de « retard ») ou
plutôt en termes de de cursus et surtout d’acquisitions, d’objectifs en
somme ?
Cette affirmation claire de la
fonction du collège devrait s’accompagner logiquement des transformations en
termes de contenus, de structures, de démarches pédagogiques permettant que
l’hétérogénéité ne soit plus vécue comme un obstacle mais comme une situation
dont on tirera profit à la fois en termes de socialisation, de vivre ensemble
et de dynamisation des apprentissages :
définition
des objectifs à atteindre par tous en fin de 3ème = le socle commun. Ce n’est
que lorsque les objectifs communs ont été définis que l’on peut se poser la
question de la « diversification des parcours » -notion très à la
mode aujourd’hui- d’une façon qui ne soit pas biaisée par avance.
C’est autour de ces objectifs que seront construits les programmes, les
démarches interdisciplinaires, les évaluations. La définition de ce socle commun
constitue l’un des enjeux majeurs du débat de société sur l’École :
cultures et valeurs sont évidemment concernées.
Que le collège accueille tous les jeunes d’une classe d’âge, tels qu’ils sont
-dans leur diversité- pour leur faire atteindre les objectifs définis comme
constituant les acquis communs nécessaires à ce niveau de scolarité suppose que
soient recherchés et construits un certain nombre de critères, de dispositifs
qui visent à mettre l’élève au centre du système éducatif. Qu’il s’agisse des modalités
d’apprentissage et d’entrée dans les disciplines, de différenciation
pédagogique, de personnalisation des démarches pédagogiques ou éducatives, la
relation de l’élève aux savoirs, la relation de l’élève aux autres (aux élèves,
aux adultes de « statuts » divers) est essentielle, les démarches
d’évaluation des dispositifs nouveaux (TPE, IDD) l’ont bien montré.
taille
et conception des établissements ; fonctionnement des établissements
(caractère essentiel du projet d’établissement) ; relation avec les autres
établissements du bassin, avec les autorités de tutelle (autonomie = moyens de
réaliser les projets + évaluation) et les partenaires ; animation de la vie
pédagogique et éducative, vie sociale et culturelle, ...
la
différenciation pédagogique (modalités d’apprentissage) et le suivi
individualisé dans ses différentes formes possibles (de l’étude dirigée au
tutorat, en passant par l’aide à l’élaboration du projet personnel, l’aide à la
remédiation de difficultés diverses ...).
Sur ces différentes questions, des démarches positives et riches de
potentialités sont parfois mises en œuvre aujourd’hui mais l’absence de
reconnaissance institutionnelle, de moyens, de suivi, de soutien finit souvent
par provoquer l’essoufflement... l’enlisement.
la
redéfinition du service des enseignants, reconnaissance institutionnelle de
l’évolution réelle et/ou nécessaire des modalités d’exercice du
« métier » (diversification des tâches », et en particulier
suivi individualisé, travail collectif) en lien avec les conditions d’exercice
des autres personnels de l’équipe éducative ; formation initiale et
continue des uns et des autres ;
Nous nous contentons là de pointer
quelques grands axes sur lesquels il y aurait sans doute des transformations à
décider pour que le collège devienne celui de la réussite de tous les jeunes.
Le Sgen-CFDT a des propositions concrètes sur ces différents points -certaines
ayant d’ailleurs été reprises dans le texte commun de décembre 2002- dont on
peut trouver le développement dans le texte adopté au congrès de Libourne de
mai 2001 : « L’École
de tous - 2e partie : le collège, école moyenne »
Ce texte est une contribution au
Débat national sur le Collège Unique organisé par le
Collectif du 4 juin 2003, en préparation au colloque du 13 décembre 2003.